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Les trolls n'existent (presque) plus

Publié le par naglaglasson / Gnap_Gnap

Je voulais appeler cet article "les trolls n'existent plus" mais, à ma grande surprise, j'ai eu à traiter le cas d'un vrai troll ces derniers jours. Il y en a donc encore quelques uns ! Je vous vois d'ici vous courroucer, ou vous marrer en voyant un gestionnaire de communautés naïf qui imagine que le web est enfin devenu sain. Bien loin de moi cette idée, au contraire, il est temps d'appeler les choses par leur nom. Mettons fin à la supercherie du troll.

 

Le troll, le vrai

 

Pour comprendre ce qu'est un troll, il faut revenir aux débuts de l'Internet. À l'époque confidentiel et peu fréquenté, les discussions se tenaient principalement sur Usenet (l'ancêtre des forums, en gros) et IRC (les tchats). La modération y était quasiment inexistante et pour que l'endroit reste vivable il fallait respecter la Netiquette, un ensemble de règles tacites qui perdurent encore aujourd'hui sans qu'on ne s'en rende compte : écrire en majuscules équivaut à crier, il faut respecter l'anonymat des participants, etc.

Le "trolling" naît à cette époque. Le principe consiste à débarquer dans une conversation pour envenimer les échanges sans se faire sanctionner. Un troll aura tendance à respecter la Netiquette et à jouer avec les règles établies : il s'infiltrera dans les zones d'ombre et jouera sans cesse avec la ligne rouge, arguant que ce qu'il fait est valable et que sa liberté d'expression l'autorise à publier ses messages.

Ainsi, quel que soit le sujet de la discussion, un troll va adopter une posture volontairement polémique pour susciter les réactions. Bien vite la discussion a complètement perdu son but initial et ne tourne plus qu'autour du troll. L'expression "don't feed the troll" fait écho à cette définition initiale : il ne faut pas répondre à un troll, car chaque réponse est une arme supplémentaire dont il se servira pour poursuivre son œuvre.

 

Le troll, l'ennemi d'Internet

 

La démocratisation d'Internet dans les années 2000 a amené sa lente structuration. La modération s'est installée de manière plus large et plus professionnelle et le petit jeu des trolls a fini par être contré. Les problèmes ont alors changé de registre : liens pornographiques, propos insultants ou discriminatoires... De plus en plus de monde sur les espaces, avec un sentiment d'impunité de plus en plus fort, très vite la modération était débordée de propos bien plus graves à modérer. L'ambiguïté vis-à-vis des règles n'était plus qu'un cas particulier, le malveillant cherchant simplement à être aussi trash que possible et tant pis pour la sanction, bien souvent dérisoire sur le web.

Les médias n'ont pas attendu bien longtemps pour s'intéresser à ce monde parallèle où de petites sociétés humaines voyaient le jour, avec plein de modèles différents en terme d'organisation, d'autorité et de degré de liberté d'expression. Surtout, les dérives naissantes commencèrent à avoir une répercussion sur la vie réelle : piratages massifs, harcèlement, propos discriminatoires validés par des dizaines de milliers de personne... Ces dérives sont d'autant plus difficiles à appréhender pour le grand public qu'elles peuvent émaner de n'importe qui - on le découvre par exemple dans cet article, qui nous présente des "gens ordinaires" qui ont tenu des propos ignobles sur le web. J'en reparlerai probablement.

Ainsi, pour désigner plus efficacement une personne qui se comporte mal sur Internet, le mot "troll" est entré dans le langage courant. C'est pratique et ça englobe tous les mauvais comportements ensemble, en allant de la provocation gentille voire du simple avis contraire au sien jusqu'au pire du harcèlement ou du racisme. Beaucoup de médias ont finalement repris ce terme, galvaudant un peu plus la définition à chaque utilisation. Dans l'absolu, que la définition change, tout le monde s'en fout. Mais quand de cette façon les actes malfaisants dénoncés s'en trouvent minimisés, la pédagogie en prend un sacré coup.

 

Le troll, la bonne excuse

 

"C'était pour troller !"

C'est l'excuse qui revient constamment pour justifier les mauvais comportements, n'importe qui ayant passé un peu de temps à modérer pourra en témoigner. Cette excuse s'est cependant largement répandue : "nan mais ça va, les mecs qui ont fait ça ce sont des trolls, y'a rien de sérieux". Si effectivement la définition initiale du troll rendait cette remarque pertinente, aujourd'hui cela entraîne une banalisation inquiétante des manquements divers.

Un exemple concret : le harcèlement en ligne est un délit puni de deux ans de prison et 30 000€ d'amende (c'est plus sévère si la victime a moins de 15 ans : plus d'infos). C'est un problème de société grave qui a largement contribué à des dépressions voire des suicides. Or, via une recherche de quelques secondes, on trouve tout un tas d'articles de presse qui mettent "harcèlement" et "troll" dans le même titre : sur Le Monde, RTL, 20minutes...

Leslie Jones, actrice Américaine au casting du remake de Ghostbusters, a été la cible d'un nombre effarant d'attaques diverses : racisme, sexisme, hack de site web, divulgation d'informations privées... Dégoûtée, elle a fermé son compte Twitter. Les médias ont largement couvert l'affaire avec l'euphémisme du troll : le New Yorker, Vanity Fair, NBC News... Ces gens ne sont pas des trolls. Ce sont des racistes. Des sexistes. Des pirates informatiques.

Si ces attaques avaient eu lieu "en vrai", il ne nous viendrait même pas à l'esprit de parler de troll. Internet donne un sentiment d'impunité déjà suffisamment large, l'aggraver en utilisant un euphémisme pour décrire les pires comportements est irresponsable. Alors oublions le troll, peut être qu'il en existe encore quelques uns mais ce terme ne doit plus être utilisé. Internet ne cessera pas d'être un espace de non-droit tant que nous ne cesserons pas de prodiguer des excuses toutes trouvées aux comportements néfastes.

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