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gestion de communautes

Internet nous rend irrespectueux

Publié le par naglaglasson / Gnap_Gnap

Dans cet article BuzzFeed recense plusieurs affaires où des rédacteurs de tweets homophobes ou islamophobes se sont retrouvés devant la justice. Le ton de l'article se veut moralisateur, l'idée est de faire un exemple fort pour prouver que le web n'est pas une zone de non-droit, et que les propos tenus en ligne sont graves et peuvent amener de réelles conséquences. Mais dans les faits, on s'aperçoit que les responsables sont des personnes parfaitement ordinaires. Comme si n'importe qui pouvait franchir le pas.

 

Internet, catalyseur d'émotions fortes

Revenons donc sur BuzzFeed. On nous présente trois personnages : Aurélie, Christian et Nadia. Aurélie doit assumer au tribunal plusieurs tweets islamophobes, notamment : "Nous aussi on va égorger vos imams dans vos mosquées". Ces tweets faisaient suite à l'attentat de juillet 2016 pendant lequel le père Hamel est tué. Elle explique avoir réagi à d'autres messages haineux qui se réjouissaient de son décès : "encore un prêtre pédophile de moins". Elle-même se décrit comme ex-musulmane d'origine kurde.

Christian, lui, a tenu des propos homophobes contre un élu local. En colère contre la politique HLM de la ville de Paris, un lundi matin, mal réveillé... tout un tas d'excuses diverses pour expliquer ce tweet. Son avocate ira jusqu'à dire qu'il est "un esprit faible, légèrement simplet".

Nadia n'est pas présente au tribunal, elle aussi a tenu des propos homophobes auxquels il faut ajouter des menaces physiques. Elle a déjà un casier judiciaire pour menaces de mort et appels téléphoniques malveillants. Elle explique lors de son audition avoir voulu être percutante, faire réagir.

Si Nadia est coutumière du fait et semble avoir le profil d'une "vraie" harceleuse, les deux autres personnes ressemblent davantage à des profils sans histoires, dévastés par les proportions que ces quelques mots ont sur leur vie. Une dame choquée par un attentat et qui attrape son téléphone pour répliquer à des propos haineux par sa propre haine, quitte à s'en inventer une à rebours de ses origines. Un homme qui a perdu son travail, un peu simplet, pète un câble un lundi matin et s'en prend à un élu en attaquant sur le seul truc qu'il sait de lui : il est homosexuel. Sur Internet il n'y a pas de barrière et tellement peu de conséquences qu'ils n'ont pas réfléchi plus loin.

 

Internet, prime à la méchanceté

 

Dire ce que l'on veut sans conséquences ! Internet fournit tous les outils pour se planquer correctement, et il faut vraiment pousser le vice loin -ou ne pas avoir de chance- pour attirer l'œil des autorités. Le sentiment d'impunité est aussi formidable que dangereux, renforcé par la méconnaissance du concept de liberté d'expression, appelé à tort et à travers pour justifier tous les écarts de conduite.

Comme l'ont signalé les personnes présentées précédemment, être aussi malfaisant que possible sur Internet permet de gagner instantanément de la visibilité, véritable nerf de la guerre dans ce monde numérique bourré d'individualités qui tentent d'exister. Si le web a rapidement attiré les polémistes bannis des chaines de télévision, ce n'est pas pour rien : peu de contrôle et un public attiré par l'odeur du sang assurent d'excellents résultats. Les vrais trolls de la première heure l'avaient déjà compris.

Observons simplement nos comportements vis à vis de toute cette négativité pour s'en convaincre : lorsque deux personnes vont commencer à se quereller pour en arriver aux insultes, notre réaction est de regarder le clash avec du popcorn. Lorsqu'on cherche un produit on regarde systématiquement les évaluations négatives pour repérer tout de suite ce qui ne va pas. Lorsqu'une info est négative ou polémique elle sera davantage commentée (il suffit de regarder les commentaires sur jeuxvideo.com depuis des années pour s'en apercevoir). Lorsque quelqu'un se comporte mal on aura tout de suite tendance à partager ses travers pour susciter les réactions.

 

Nous sommes tous responsables

 

Le sens de la mesure existe-t-il encore ? Le succès sur Internet se mesure désormais à la puissance de la punchline. Elle doit être rapide, incisive et corrosive. Les discussions cordiales avec des arguments sont en voie de disparition, remplacées par la réaction. Et les outils à notre disposition ont évolué dans ce sens ; c'est la raison pour laquelle les réseaux sociaux ont le vent en poupe par rapport aux forums, par exemple, qui eux-même se transforment de plus en plus en réseaux sociaux pour survivre. Les messages sont plus courts et les algorithmes récompensent ceux qui obtiennent le plus de votes.

La violence de nos avis est-elle justifiable ? Prenons l'exemple des biens culturels. Dire qu'un film est une abomination ou qu'une série de jeux est honteuse, ça ne pose jamais de problème. Quand l'entreprise commence à enchaîner les productions critiquées, sa mauvaise réputation va entraîner une vague de haine régulière à son encontre. Il n'y a plus que quelques pas à franchir et ce sont les personnes créditées qui seront attaquées. Au début sur leur contribution à l'œuvre mal-aimée, mais très vite on peut s'attaquer à son physique, à son orientation sexuelle, à son origine...

La frontière entre un tweet assassin vis-à-vis d'un film ou d'une série et un tweet qui s'en prend directement à une autre personne en raison de son physique ou de ses croyances est-elle aussi large qu'il n'y paraît ? Je ne milite pas pour un Internet de la gentillesse, du respect et des tweets lovelove, mais lorsque nous cherchons les coupables de l'ambiance délétère qui règne sur les réseaux, rappelons-nous que nous participons tous à cette ambiance. La retenue et le respect gagneraient à s'exercer sur tous les sujets.

J'ai discuté de politique avec une autre personne sur Twitter. Nos visions sont radicalement opposées, mais nous avons convenu en fin de compte que l'échange avait été intéressant et que c'était suffisamment rare pour être souligné. Nous ne sommes sûrement pas tombé d'accord, mais nous nous comprenons et respectons. Ce comportement est une exception, j'ai été le premier surpris que ça se termine aussi bien. Si l'affrontement et l'irrespect sont à ce point banalisés, pouvons-nous nous étonner que la haine le soit tout autant ?

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Les trolls n'existent (presque) plus

Publié le par naglaglasson / Gnap_Gnap

Je voulais appeler cet article "les trolls n'existent plus" mais, à ma grande surprise, j'ai eu à traiter le cas d'un vrai troll ces derniers jours. Il y en a donc encore quelques uns ! Je vous vois d'ici vous courroucer, ou vous marrer en voyant un gestionnaire de communautés naïf qui imagine que le web est enfin devenu sain. Bien loin de moi cette idée, au contraire, il est temps d'appeler les choses par leur nom. Mettons fin à la supercherie du troll.

 

Le troll, le vrai

 

Pour comprendre ce qu'est un troll, il faut revenir aux débuts de l'Internet. À l'époque confidentiel et peu fréquenté, les discussions se tenaient principalement sur Usenet (l'ancêtre des forums, en gros) et IRC (les tchats). La modération y était quasiment inexistante et pour que l'endroit reste vivable il fallait respecter la Netiquette, un ensemble de règles tacites qui perdurent encore aujourd'hui sans qu'on ne s'en rende compte : écrire en majuscules équivaut à crier, il faut respecter l'anonymat des participants, etc.

Le "trolling" naît à cette époque. Le principe consiste à débarquer dans une conversation pour envenimer les échanges sans se faire sanctionner. Un troll aura tendance à respecter la Netiquette et à jouer avec les règles établies : il s'infiltrera dans les zones d'ombre et jouera sans cesse avec la ligne rouge, arguant que ce qu'il fait est valable et que sa liberté d'expression l'autorise à publier ses messages.

Ainsi, quel que soit le sujet de la discussion, un troll va adopter une posture volontairement polémique pour susciter les réactions. Bien vite la discussion a complètement perdu son but initial et ne tourne plus qu'autour du troll. L'expression "don't feed the troll" fait écho à cette définition initiale : il ne faut pas répondre à un troll, car chaque réponse est une arme supplémentaire dont il se servira pour poursuivre son œuvre.

 

Le troll, l'ennemi d'Internet

 

La démocratisation d'Internet dans les années 2000 a amené sa lente structuration. La modération s'est installée de manière plus large et plus professionnelle et le petit jeu des trolls a fini par être contré. Les problèmes ont alors changé de registre : liens pornographiques, propos insultants ou discriminatoires... De plus en plus de monde sur les espaces, avec un sentiment d'impunité de plus en plus fort, très vite la modération était débordée de propos bien plus graves à modérer. L'ambiguïté vis-à-vis des règles n'était plus qu'un cas particulier, le malveillant cherchant simplement à être aussi trash que possible et tant pis pour la sanction, bien souvent dérisoire sur le web.

Les médias n'ont pas attendu bien longtemps pour s'intéresser à ce monde parallèle où de petites sociétés humaines voyaient le jour, avec plein de modèles différents en terme d'organisation, d'autorité et de degré de liberté d'expression. Surtout, les dérives naissantes commencèrent à avoir une répercussion sur la vie réelle : piratages massifs, harcèlement, propos discriminatoires validés par des dizaines de milliers de personne... Ces dérives sont d'autant plus difficiles à appréhender pour le grand public qu'elles peuvent émaner de n'importe qui - on le découvre par exemple dans cet article, qui nous présente des "gens ordinaires" qui ont tenu des propos ignobles sur le web. J'en reparlerai probablement.

Ainsi, pour désigner plus efficacement une personne qui se comporte mal sur Internet, le mot "troll" est entré dans le langage courant. C'est pratique et ça englobe tous les mauvais comportements ensemble, en allant de la provocation gentille voire du simple avis contraire au sien jusqu'au pire du harcèlement ou du racisme. Beaucoup de médias ont finalement repris ce terme, galvaudant un peu plus la définition à chaque utilisation. Dans l'absolu, que la définition change, tout le monde s'en fout. Mais quand de cette façon les actes malfaisants dénoncés s'en trouvent minimisés, la pédagogie en prend un sacré coup.

 

Le troll, la bonne excuse

 

"C'était pour troller !"

C'est l'excuse qui revient constamment pour justifier les mauvais comportements, n'importe qui ayant passé un peu de temps à modérer pourra en témoigner. Cette excuse s'est cependant largement répandue : "nan mais ça va, les mecs qui ont fait ça ce sont des trolls, y'a rien de sérieux". Si effectivement la définition initiale du troll rendait cette remarque pertinente, aujourd'hui cela entraîne une banalisation inquiétante des manquements divers.

Un exemple concret : le harcèlement en ligne est un délit puni de deux ans de prison et 30 000€ d'amende (c'est plus sévère si la victime a moins de 15 ans : plus d'infos). C'est un problème de société grave qui a largement contribué à des dépressions voire des suicides. Or, via une recherche de quelques secondes, on trouve tout un tas d'articles de presse qui mettent "harcèlement" et "troll" dans le même titre : sur Le Monde, RTL, 20minutes...

Leslie Jones, actrice Américaine au casting du remake de Ghostbusters, a été la cible d'un nombre effarant d'attaques diverses : racisme, sexisme, hack de site web, divulgation d'informations privées... Dégoûtée, elle a fermé son compte Twitter. Les médias ont largement couvert l'affaire avec l'euphémisme du troll : le New Yorker, Vanity Fair, NBC News... Ces gens ne sont pas des trolls. Ce sont des racistes. Des sexistes. Des pirates informatiques.

Si ces attaques avaient eu lieu "en vrai", il ne nous viendrait même pas à l'esprit de parler de troll. Internet donne un sentiment d'impunité déjà suffisamment large, l'aggraver en utilisant un euphémisme pour décrire les pires comportements est irresponsable. Alors oublions le troll, peut être qu'il en existe encore quelques uns mais ce terme ne doit plus être utilisé. Internet ne cessera pas d'être un espace de non-droit tant que nous ne cesserons pas de prodiguer des excuses toutes trouvées aux comportements néfastes.

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La modération pendant les attentats

Publié le par naglaglasson / Gnap_Gnap

"Quel est ton pire souvenir dans ton travail ?", une question qui m'est régulièrement posée dans les quelques échanges que je peux avoir avec des forumeurs ou des étudiants. Lorsque la vie réelle bascule c'est tout Internet qui s'embrase, le monde moderne est avide du commentaire instantané et la réaction à chaud fait tomber les filtres déjà largement éprouvés. Notre travail est alors plus important que jamais.

 

Modus operandi

L'organisation est désormais bien huilée... et c'est peut être ça le plus terrible. La plupart du temps les attentats ont lieu en soirée, pendant que nous autres salariés faisons nos vies loin des forums. Le premier à comprendre qu'il se passe quelque chose de grave prévient ses collègues, et très vite on détermine à quel point l'événement est grave et nécessite notre intervention, tout simplement en regardant comment se comporte le Blabla 18-25 ans et les autres forums les plus actifs. Tous les admins disponibles se retrouvent alors sur un appel Skype commun pour se coordonner.

La première étape consiste à prévenir les bénévoles aussi largement que possible, afin que chacun sache comment intervenir. Par définition, nous ne pouvons pas obliger un bénévole à intervenir pendant une période donnée. Mais ces périodes de trouble sont également de beaux moments de solidarité, et nous ne manquons jamais de volontaires, ils doivent donc savoir comment réagir. 

La priorité absolue est de maintenir les forums de manière à ce que les discussions soient aussi saines que possible, afin que tous puissent réagir et s'informer. Un événement grave affole les statistiques et l'activité est plus importante que jamais, avec tous les débordements que l'on peut imaginer. Il suffit d'un instant d'inattention pour que l'équilibre s'effondre, aussi la tolérance zéro est appliquée. Tout propos cautionnant le terrorisme est durement sanctionné, tout propos profitant de l'événement pour discriminer une catégorie de population l'est également.

Les salariés disponibles se partagent également les tâches. Le plus souvent, les discussions concernant un attentat sur le 18-25 sont rassemblées dans un topic unique, hyperactif. Pour mieux suivre en temps réel l'arrivée des nouveaux messages, on partage le boulot en deux : l'un surveillera les pages paires du topic, l'autre les impaires. Quand ça ne suffit pas, on sépare en trois. Il ne faut pas non plus oublier le reste du 18-25, où de nouveaux sujets sont créés chaque seconde, ainsi que les autres forums du site qui peuvent s'enflammer : le Blabla 15-18 ans, le forum Actualités... Les bénévoles affectés à ces forums nous préviennent quand ils sont capables de reprendre le relais, nous permettant de nous concentrer sur d'autres espaces. D'autres encore partent traiter les signalements des utilisateurs.

Pendant toute la durée de l'épreuve l'appel Skype est maintenu, et nous restons disponibles pour tous les bénévoles. Nous discutons brièvement des événements et nous tenons informés des évolutions en temps réel. Il faut réagir rapidement quand une image choquante, ou montrant les victimes de façon dégradante, commence à se propager. Ou quand des rumeurs se répandent, faire le tri de ce qui est avéré du reste ... Cela donne lieu a pas mal de discussions pour trouver le juste équilibre.

Une fois le rythme trouvé, nous sommes d'une efficacité redoutable. Bien entendu, ces moments nous obligent à adopter une attitude plus expéditive afin de gagner en efficacité, ce qui amène inévitablement des dégâts collatéraux sur des membres qui n'ont rien fait. Le contre coup intervient dans les jours qui suivent, avec le travail supplémentaire qui consiste à traiter les réclamations et rattraper les erreurs.

 

Au milieu de la tempête

Le soir du 13 novembre 2015, pendant les attentats de Paris et du Bataclan, j'étais chez moi. C'était un vendredi soir et je passais alors sur une émission de radio dédiée aux forums et gérée par des modérateurs du 18-25. Le match de l'Équipe de France tournait sur le second écran, sans le son. Je finis par entendre pas mal de voitures de police passer à coté de mon appartement, et très vite il semble clair qu'il y a un souci. Les modérateurs en parlent rapidement à l'antenne (eux-même ne savent pas grand chose à ce moment), mais nous tenons à terminer l'émission.

Ensuite, c'est la course. Pour rejoindre la conversation Skype, comprendre l'horreur de ce qui se passe et mettre en place la procédure. Ce fut la soirée la plus difficile. Nous étions au cœur des événements avec une actualité qui s'emballe en temps réel et des forums plus électriques que jamais. Le second écran me servira désormais à suivre BFMTV, avec le son faible pour entendre les autres participants sur Skype.

Un membre de ma famille était à Paris pendant cette soirée, pas très loin des terrasses touchées. Aucune nouvelle de sa part : j'apprendrai plus tard qu'il n'avait plus de batterie et n'a pas pu prévenir avant le lendemain. D'autres connaissances mettront ainsi du temps à se manifester, pour des raisons différentes, certains s'étant tout simplement couchés tôt.

Mais il faut continuer. Garder la tête froide, raisonner avec beaucoup de recul, parfois jusque très tard. Les messages haineux et choquants s'enchaînent, intarissables, notre action apparaît dérisoire. Le sentiment de devoir stopper une cascade à mains nues. Au plus fort des événements, il semble que cela ne s'arrêtera jamais.

D'une certaine façon, être au milieu de cette tempête permet aussi de mieux la gérer. Quand des événements aussi atroces se passent mais que vous avez quelque chose à faire, même si ça semble parfaitement illusoire et même si ça n'est absolument pas comparable avec un métier de terrain, c'est une façon se de déconnecter de la réalité et de se concentrer sur une tâche et un objectif. Je pense être chanceux d'avoir quelque chose à faire, à mon petit niveau, quand le pire survient.

 

Travail d'équipe

 

Aujourd'hui, quand je repense à ces événements, je me rends compte à quel point nous avons de la chance d'avoir un boulot où tout le monde est aussi soudé. Notre ancien directeur adjoint a ainsi mis la main à la pâte lors de périodes troubles pour donner un coup de main, les modérateurs bénévoles ont une maturité exemplaire qui leur permet d'intervenir avec beaucoup de sérieux... et bien sûr les collègues sont toujours présents.

Lors des premiers attentats d'ampleur que j'ai eu à gérer, à l'époque pour Charlie Hebdo, la tâche à accomplir semblait vertigineuse. Désormais nous savons comment réagir, nous savons que nous pouvons compter les uns sur les autres et nous mettons rapidement en place les mesures nécessaires et les personnes compétentes pour l'assumer.

Je tiens donc à remercier toutes les personnes qui ont aidé, même de très loin, pendant un de ces événements : les collègues, parfois d'autres services, parfois stagiaires, qui ont accepté de nous aider ; les développeurs qui parviennent à nous simplifier la vie par de petites améliorations ponctuelles ; mais aussi et surtout les bénévoles, à qui on ne dit jamais assez à quel point ils sont primordiaux. Ils doivent être fiers de ce qu'ils accomplissent.

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Les qualités requises pour être CM

Publié le par naglaglasson / Gnap_Gnap

Le boulot de Gestionnaire de Communautés (CM pour les intimes) donne lieu à plein de questions récurrentes de la part de curieux, d'étudiants, voire de journalistes. C'est un boulot récent et à la mode, et les interrogations à son sujet tournent vite autour des mêmes idées. Par exemple, les qualités requises pour être CM ont donné lieu à plein d'articles. Leur point commun : je ne me reconnais dans quasiment aucun de ces articles. Alors je fais le mien, ce qui me permettra de répondre plus facilement à cette question à l'avenir. Mais plutôt que de donner des conseils très généralistes, je vais expliquer ce que ça donne dans mon quotidien.

 

Rigueur et organisation

 

Selon moi ça devrait être primordial pour tous les métiers. Pour être performant, vous devez constamment savoir où vous en êtes, être en mesure de gérer plusieurs tâches à la fois sans perdre de vue les objectifs. Dans une même journée, je peux avoir à gérer plusieurs drames sur les forums, des demandes urgentes d'autres services ou de supérieurs, suivre l'actu jeu vidéo et les évolutions des réseaux sociaux tout en conservant toujours un œil sur les tweets de la journée et les réactions à ceux-ci.

Pour s'en sortir, il faut gagner du temps par tous les moyens possible. Oscar Wilde disait "La paresse est la mère de la perfection", ça ne veut pas dire qu'il faut se tourner les pouces mais que plein de petites optimisations permettent de gagner un temps fou pour tout. Ainsi, avoir des processus simplifiés et établis pour toutes les tâches, avec des endroits où vous pouvez retrouver toutes les infos que vous recherchez efficacement, peuvent transformer votre productivité. Exemple tout bête : si vous devez rédiger un texte avec un "É", un "Ç" ou un "À" (sous Windows), vous avez plusieurs solutions : chercher le mot sur Google et faire un copier-coller, le taper avec la faute et utiliser le correcteur orthographique.... Mais le plus efficace reste d'utiliser les codes qui vont avec ces caractères (alt+128 par exemple). Pour enfin me les rentrer dans le crâne, j'ai créé un mémo avec les trois codes les plus utiles auquel je me référais constamment. Au bout d'un moment, ça rentre ! Et aujourd'hui ce sont quelques secondes d'efficacité gagnées à chaque utilisation.

Du coup, j'ai constamment tout un tas d'aides autour de moi : des plannings en pagaille pour me souvenir de faire telle ou telle tâche, des réveils programmés pour ne pas oublier les échéances importantes... L'objectif est simple : il ne faut jamais oublier un tweet ou une tâche, tout doit être constamment à jour. Avec des listes de choses à faire, ça va tout seul !

 

Authenticité

 

Caractéristique beaucoup plus subtile, et plus difficile à appliquer qu'il n'y paraît, l'authenticité d'une communication est pourtant primordiale. Sur les réseaux sociaux les messages de marques sont formatés, réfléchis à la virgule près, avec les bons hashtags et les bons visuels bien calibrés ...Ce qu'on oublie trop facilement, c'est que nous avons face à nous des personnes qui sont conscientes de ce travail, ils voient les ficelles.

C'est pourquoi je chéris l'authenticité et l'honnêteté dans chacun de mes messages. Je suis incapable de réfléchir pendant des heures à la façon de tourner un texte, ou de présenter un fait. Les tweets pour @JVCom sont écrits de la même façon que si je devais les écrire sur mon propre compte Twitter, sans tournure de phrase alambiquée, sans appât, sans hashtag inutile. De même pour mes communications sur les forums : je ne réfléchirai pas pendant des heures à la tournure d'un message. Ça ne veut pas dire foncer tête baissée, et j'ai donc un plan plus ou moins établi à l'avance dans mon esprit.

Car si le message est authentique, il ne faut pas négliger la forme. Pas de fautes, une idée principale pour chaque paragraphe, toujours finir sur une note positive, ne pas surcharger de smilies, adapter le ton à l'importance du sujet... Le texte doit rester agréable à lire. C'est aussi s'adapter à son interlocuteur : recevoir un MP très formel me poussera à vouvoyer mon interlocuteur, là où quelque chose de plus familier me permettra de sortir un message plus complice. Dans tous les cas, bien sûr, du respect.

En clair, il faut faire oublier que vous êtes le représentant d'une marque. Vous devez réussir à devenir aux yeux des personnes à qui vous parlez le bon copain qui va vous faire marrer, ou qui va vous apporter de l'info pertinente, sans rien forcer et sans enrober les messages derrière des ficelles de marketing.

 

Recul

 

Ici je parle d'un état d'esprit global qui s'applique à tout un tas de situations. De manière évidente, le recul est primordial lorsque vous avez à faire de la modération ou de la réponse aux diverses sollicitations (questions d'utilisateurs, plaintes ...) : votre ton et vos décisions devront rester neutres et diplomates. Conserver son calme en toute situation, parvenir à écouter toutes les parties lorsque l'on traite un problème, réussir à mettre de coté les amitiés ou inimitiés pour rester juste ... Et encaisser les remarques désagréables. Ça ne signifie cependant pas qu'il faut se laisser faire : vous avez toute légitimité de demander à quelqu'un qui vous interpelle un minimum de respect, sous peine de ne pas prendre sa demande en considération. Le plus simple est encore d'être ferme tout en conservant les formules de politesse.

Cela signifie également ne pas avoir d'ego. Ce rôle étant public, il expose aux diverses critiques qu'il faut savoir encaisser, et même accepter pour trouver comment améliorer les choses. Même les plus virulentes qui ne semblent exister que pour la provocation peuvent amener une réflexion intéressante, il serait stupide de l'ignorer parce que sa fierté est blessée. J'admets sans problème être fatigué des interventions systématiquement négatives du forum Communauté, pour autant je ne m'en couperai jamais : c'est là bas que beaucoup de mes idées ou réflexions sont nées. Il faut également savoir faire la part des choses : la plupart des remarques ne vous concerneront pas personnellement, mais vous êtes tout de même là pour représenter et incarner ceux pour qui vous travaillez, il faut donc tout assumer et ce quel que soit votre opinion. Pour autant, plutôt que de rester systématiquement corporate je préconise l'honnêteté, et bien que ça m'ait déjà été reproché, je n'hésiterai pas à donner un sentiment personnel qui va à l'encontre de la décision prise par une autre personne de l'entreprise. Je pense au contraire que c'est de cette façon que la parole acquiert une légitimité cruciale : quel intérêt d'écouter un porte drapeau aveuglé ?

Enfin, avoir du recul et ne pas avoir d'égo, c'est se souvenir que vous allez vous planter et qu'il faut l'accepter. Le métier est récent, il y a tout à découvrir. S'endormir sur ses lauriers est destructeur, il faut tenter de nouvelles choses régulièrement. C'est passionnant d'essayer de nouveaux modèles, mais quand l'idée géniale ne fonctionne pas il faut savoir le reconnaître. S'enfermer ne sert à rien. Et si on fait une bourde et que ça risque de déclencher un bad buzz, il faut assumer : expliquer pourquoi il y a eu l'erreur, s'excuser et corriger l'erreur. Exemple tout récent, après avoir passé du temps à réfléchir à une idée de tribune Twitter qui permettrait à nos followers d'exprimer leur ressenti sur le sujet qu'ils souhaitent, l'idée n'a pas (du tout) pris. Plutôt que de la forcer, je préfère trouver autre chose !

 

Voici donc ce que je garde constamment à l'esprit lorsque j'effectue mon travail, et qui me semble s'appliquer à n'importe quelle situation où l'on doit traiter avec des utilisateurs sur Internet. Bien entendu, je ne le précise pas parce que ça semble évident, mais un CM doit savoir de quoi il parle : si on vous demande de communiquer sur quelque chose que vous ne comprenez pas, posez des questions jusqu'à comprendre, et tant pis si vous êtes pénible ! "La confiance se gagne en gouttes et se perd en litres", et se tromper et ne pas l'assumer peut être dévastateur. Et s'il ne fallait retenir qu'une chose de ces lignes, la chose sur laquelle j'insiste : parlez à des humains, pas à des clients !

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La fermeture des forums IMDb, ou quand la contradiction gêne

Publié le par naglaglasson / Gnap_Gnap

Dans mon précédent article je vous expliquais pourquoi les forums c'est cool. Hélas tout le monde ne partage pas cet avis et IMDb, plus gros site cinéma / TV / people du monde, détenu par Amazon, a depuis quelques jours fermé ses "message boards". Cette fermeture est un symbole fort de l'évolution d'Internet : les forums et les commentaires sont critiqués, raillés ... alors qu'ils n'ont jamais été aussi populaires. Et si la fermeture des forums de IMDb n'a pas nécessairement été décidée par le contenu des forums, il est de plus en plus difficile de trouver au sein de la presse les défenseurs de cette partie d'Internet ...
 

 

Forums IMDb, présentation

 

Je ne vais pas faire semblant : je n'avais jamais mis les pieds sur les forums IMDb avant l'annonce de la fermeture. Mais après quelques visites chez Wikipedia et des pages conservées dans le cache de Google, j'ai découvert un système qui rappelle très fortement celui de jeuxvideo.com ... et pour ceux qui s'en souviennent, toutlecine.com.

Les forums de IMDb ont ouvert au début des années 2000, avec l'idée de faire un forum pour chaque film, série ou personnalité du cinéma, soit plus de trois millions d'espaces. En sus, il existait 140 forums plus généralistes et un service de messagerie privée. Avec le temps, l'activité eût tendance à se concentrer sur deux forums : "Soapbox", un blabla généraliste incitant au débat sur tous les sujets, et "Politics" que je ne vous ferai pas l'affront de traduire. À noter que le compte IMDb pouvait y être authentifié avec une carte bancaire, un numéro de téléphone ou un compte Amazon ayant une activité récente, une fonctionnalité qui n'existe pas sur jeuxvideo.com et qui devait permettre au staff de mieux repérer ceux qui sont sérieux des autres.

Leur système de modération était géré uniquement par leur équipe interne, aucun bénévole n'a jamais été ajouté en renfort. Tout dépendait de deux fonctionnalités : les signalements, traités donc par le staff avec un délai "qui dépend du retard accumulé et des soucis techniques", et une fonction Ignorer que les utilisateurs pouvaient gérer à leur convenance histoire de ne plus avoir les pénibles sous les yeux. Le système était volontairement opaque, difficile donc d'en savoir plus ... mais aucun bénévole pour gérer une telle masse de travail semble assez dingue, d'autant que la modération au quotidien des espaces devient impossible et que tout ne repose plus que sur des traitements tardifs de signalements. Un choix rare pour des espaces de cette taille et revendiquant plusieurs dizaines de milliers de messages postés par jour.

IMDb semblait compter sur la prévention et la pédagogie en priorité, avec deux pages plutôt bien faites permettant de savoir efficacement comment publier en respectant le "Message Boards Etiquette" ou comment réagir face aux "trolls". D'expérience, ces pages sont très peu lues et n'ont que peu d'intérêt, mais l'intention était louable.

 

Fermer un espace ne fait pas disparaître les utilisateurs

 

Les forums ont donc fermé, et si vous souhaitez comprendre pourquoi je vous invite à lire mon précédent article qui fait le tour de la question.

La réaction des habitués n'a pas été positive, bien entendu. Une pétition a réuni plus de 11 000 signatures pour demander le maintien de l'espace de discussion, un nombre loin des millions qu'affichent les compteurs des réseaux sociaux IMDb... mais un nombre qui comprend des core-users, ces utilisateurs souvent historiques qui passent énormément de temps sur le site et qui sont infiniment plus attachés à celui-ci que des abonnés fantômes de réseaux sociaux qui mettent un like par semaine. Et surtout, il s'agit ici de communautés qui se retrouvent orphelines, des personnes qui se connaissent et qui doivent se débrouiller tant bien que mal pour trouver un nouvel espace où discuter. Car si fermer un espace c'est facile, ça ne fait pas disparaître les utilisateurs pour autant.

Les messages privés sont un bon exemple des dégâts provoqués par la décision : effacés dans le mouvement, tant pis pour ceux qui avaient noué des contacts. Ils ont eu deux semaines pour s'échanger d'autres moyens de communication avant que tout ne saute. Imaginez faire la liste de toutes les personnes que vous avez rencontré sur le web en plusieurs années ...

La pétition n'ayant eu aucun effet, les forumeurs s'organisent ... tant bien que mal. Gérer une migration générale est très compliqué et définir un point de rendez-vous unique quasiment utopiste. Les membres sont nombreux, et il y a assez de monde pour que plusieurs espaces différents -mais affaiblis- voient le jour. IMDB v2.0 semble avoir le vent en poupe, d'autres projets ne sont pas loin comme IMDForums ou MovieChat. L'activité appelle l'activité et nulle doute que ne subsistera que celui qui parviendra à faire revenir quotidiennement les utilisateurs ... si l'un d'entre eux y parvient sur le long terme. Car sans la mise en avant naturelle que procure un site aussi puissant que IMDb, le recrutement de nouveaux membres semble compromis.

Mais le plus important ce n'est pas l'avenir pour ces forumeurs, mais bien la conservation de ce qui a fait la force de ces communautés : le fait de se retrouver, une structure dans laquelle ils sont à l'aise, un ton bien particulier qu'ils conserveront sans problème ... et un gros historique ! Un tracker officieux a été lancé et près de 4 téraoctets de messages ont été sauvegardés. Là où IMDb ne laisse plus que des pages vides, l'archivage de plusieurs années d'échanges est assuré et on peut imaginer qu'ils seront réintroduits tôt ou tard dans l'un des remplaçants mentionnés plus tôt. Encore une fois, était-il à ce point judicieux de jeter dehors des utilisateurs pourtant prêts à s'organiser pour télécharger ensemble plusieurs centaines de gigaoctets de messages ?

 

Une fête médiatique en guise d'enterrement

 

La presse, d'un autre coté, semble se réjouir de la fermeture des forums IMDb. Le Monde parle d'un espace "tout en bas du caniveau numérique" (et assure que c'est "par la faute de trolls" (sic), ce qui n'est dit nulle part dans l'annonce de IMDb). Sur TechCrunch, c'est l'"une des pires sections de commentaires" qui ferme, rien que ça ... Et les deux sites insistent sur le fait que même Reddit a créé un thread (une liste de messages) pour dire à quel point ces forums étaient horribles. Un thread de 52 messages ... soit une goutte d'eau si on compare aux dizaines de milliers de messages qui étaient postés quotidiennement. Et parmi ces 52 messages, une bonne part réplique que mouais, c'est pas si différent de Reddit, finalement.

Mais qui sont ces fameux "trolls" qui rendaient la vie aussi insupportable sur les forums de IMDb ? Difficile de trouver des exemples, et c'est cet article de Gizmodo qui a fait le gros du job. S'intitulant "IMDb tue ses forums et rien de valeur n'est perdu", l'article se propose, pour ceux qui n'auraient pas eu le courage de plonger dans l'horreur de ces forums, de leur donner des exemples de ce qu'ils auraient raté. Le premier exemple : un utilisateur qui trouve Simba sexy dans le Roi Lion, notamment dans la scène de la chanson (mais si vous savez, ça roule dans l'herbe avec Nala, ça se lèche le poil etc). Sans doute faut-il y voir une répugnante remarque zoophile. Autre exemple : un forumeur qui se demande si c'est acceptable d'aimer La Liste de Schindler. Il trouve le film bien réalisé, inoubliable, convaincant, intense. Le commentaire de Gizmodo se moque de cette personne qui semble avoir peur de devenir sympathisant nazi en aimant ce film ... Qui fait des raccourcis ici ? Un autre se demande comment est gérée la grossesse dans l'univers des films Matrix, l'article se moque des "discussions philosophiques nazes" que la série de films a engendré. Un autre encore explique que The Dark Knight c'est tout nul et qu'il aurait fait un meilleur film. Brûlez cette personne qui a un avis !

Heureusement, d'autres sites prennent une position différente : Paste rappelle qu'il est important de reconnaître qu'aucun autre forum n'a été en mesure de proposer un tel nombre de discussions passionnées sur n'importe quelle série télé. Plus touchant, l'article de Amelia Tait sur newstatesman, qui lisait régulièrement ces forums et regrette la perte de vitesse des forums : "les opinions de 250 millions de personnes sur les films, la télé, ou les jeux sont une incroyable archive culturelle et historique".

 

Cachez ces commentaires qui me déplaisent !

 

Mais IMDb finira-t-il par aller plus loin ? Selon The Hollywood Reporter, le système de critiques de films par les utilisateurs serait remis en question, en raison du nombre disproportionné de votes négatifs que reçoivent les films qui mettent en avant ou sont créés par des personnes issues de minorités. Face à la haine bien entendu inacceptable, la solution est-elle de couper Internet ? La parole doit-elle être réservée à Ceux qui savent ?

Et plus globalement, la parole sur Internet doit-elle disparaître au profit des articles ? Les médias qui ferment leurs espaces de commentaires se multiplient : un groupe de médias belge, Marianne qui ferme les commentaires de plusieurs articles suite à leur perte de contrôle face à des réactions antisémites. D'autres articles analysent ce que contiennent ces sections, et c'est pas franchement positif, comme The Atlantic ou The New Yorker.

Dans ces périodes de défiance du public vis-à-vis des médias, je m'alarme de cette façon qu'a une partie de la presse de prendre en grippe les espaces de discussions et les "trolls" (qui deviennent souvent "ceux qui ne sont pas d'accord avec nous") et qui souhaiteraient verrouiller la possibilité de commenter. Est-on en train de reconnaître que, finalement, laisser n'importe qui s'exprimer est une mauvaise idée ? Bien sûr, Internet désinhibe les réactions, et oui il y a énormément de travail devant nous pour en faire un lieu d'échange sain. Mais peut être que, parfois, un peu plus d'acceptation devant les critiques serait nécessaire. Peut être qu'un peu moins de condescendance vis-à-vis de ces "trolls" leur permettrait de mieux comprendre les messages sous-jacents. Peut-être, finalement, s'apercevront-ils que ces personnes qui commentent sont leur public, et qu'ils doivent accepter que ce public soit, parfois, en désaccord avec leurs thèmes. Tant que ça reste légal, laissez les messages ! Et ne vous contentez pas de ça : parlez avec vos membres, échangez pour comprendre leurs problématiques et acceptez que vous n'êtes pas meilleurs qu'eux !

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Le forum, bien plus qu'un réseau social has-been

Publié le par naglaglasson / Gnap_Gnap

Le 20 février prochain, IMDb, le site bien connu pour sa gigantesque base de données cinématographique, fermera définitivement ses forums de discussion. Ce service n'apporterait, selon eux, aucune expérience positive ou utile aux utilisateurs du site. Les forums seront complètement effacés, les utilisateurs sont appelés à sauvegarder par eux-même les messages qu'ils souhaiteraient conserver. Le message est clair : IMDb ne veut plus avoir à gérer tout ça et renvoie tout le monde sur ses divers réseaux sociaux. Je consacrerai un article sur la fermeture des forums IMDb un peu plus tard !

En août 2016, c'est Bioware qui fermait le BSN, bien connu de ceux qui s'y sont retrouvés notamment pour échanger des théories sur la saga Mass Effect, par exemple. Là encore les utilisateurs sont invités à se rendre sur Facebook, Twitter, Youtube, Instagram ... voire même en convention In Real Life.

Les forums paraissent archaïques, difficiles à maintenir et à modérer. Mais est-ce qu'un réseau social peut remplacer un forum ? Est-ce qu'il est encore utile, en 2017, d'avoir un forum actif sur un site ? Les réseaux sociaux vont-ils les remplacer ?

Dans un souci de transparence, je rappelle à ceux qui l'ignoreraient que mon travail consiste en grande partie à gérer et animer les forums de jeuxvideo.com, mon avis peut donc paraître biaisé. Mais ce n'est pas parce que j'y travaille que j'aime les forums, c'est parce que j'aime les forums que j'ai choisi d'en faire mon métier. Faites-en ce que vous voulez !

Un forum est-il un réseau social ?

En plus d'être difficiles à gérer, les forums donnent l'impression d'être has been. Les réseaux sociaux sont passés par là et, grâce à des fonctions valorisantes qui mettent en avant la popularité d'un utilisateur (fonction j'aime, nombre d'abonnés, etc) souvent au détriment du texte, ils ont conquis le grand public. À ce titre ils sont bien aidés par leur simplicité d'utilisation. Le forum est un outil complexe, avec ses codes particuliers, et on ne peut pas y débarquer sans avoir pris connaissance des règles élémentaires. À l'inverse vous pouvez faire à peu près n'importe quoi sur votre page Facebook, ça ne gênera personne d'autre que vos amis. Alors les forums sont-ils des réseaux sociaux ?

Pour parler définition, un forum est un "média social" ; Facebook ou Twitter font partie d'un sous-ensemble des médias sociaux : les réseaux sociaux numériques de contact, tout comme World of Warcraft. Vous avez également des réseaux sociaux numériques de contenu, comme Youtube. Je vous renvoie à Wikipedia pour apprendre à mettre plein de sites dans des petites cases.

C'est pas vraiment mon délire, d'autant que j'ai le sentiment que n'importe quel site qui soit un peu contributif peut entrer dans la catégorie des médias sociaux. Mon point de vue est plus terre-à-terre : un réseau social type Facebook, Twitter ou même Youtube se concentre sur une personne. C'est votre compte, vos intérêts, vos abonnements, vos amis. C'est votre propre cercle qui sera plus ou moins grand en fonction des personnes qui gravitent autour. Pour caricaturer, je dirais que c'est une simulation de fan-clubs. Bien sûr les regroupements peuvent se faire autour d'un thème plutôt que d'une personne, mais vos contributions dans ces thèmes resteront très personnelles et partagées sur votre propre espace. Et n'importe qui ne peut pas diriger les discussions autour de ce thème : il y a toujours un groupe de personnes qui vont administrer les pages gérant ces thèmes. Finalement, c'est l'évolution directe des blogs.

Un forum, lui, est un espace vide prêt à accueillir n'importe qui. Il se concentre sur un thème plus ou moins précis : il y a des forums pour les discussions sur un type de téléphone bien précis, alors que d'autres sont des "blabla" très généralistes. Les discussions ne se font donc pas autour des personnes mais autour des sujets qui sont amenés. Le ton des discussions sera décidé de manière décentralisée par tous les participants. Ainsi, il n'est pas rare de voir un topic complètement dériver de son sujet de base pour parler de quelque chose de très différent (ça a même un nom : le Threadjacking). C'est aussi la raison pour laquelle chaque forum peut avoir une ambiance très personnalisée ... et pourquoi il est obligatoire d'en comprendre les codes avant de s'y rendre (ou d'en parler ... sous peine de raconter n'importe quoi). Je serais moi même bien incapable de parler d'un tas de forums sur jeuxvideo.com, malgré mes longues années au service du site.

Cela signifie également qu'un forum est susceptible de générer des tensions rapidement : sur les réseaux sociaux vous choisissez avec qui vous souhaitez interagir, les gens qui vous suivent étant le plus souvent des personnes qui vous apprécient. Tout n'y est pas rose bien sûr, mais vous avez plus de chances de vous retrouver au sein d'un groupe qui s'entend plutôt bien. Sur les forums, les nouveaux et inconnus peuvent débarquer à tout moment ! Et s'il leur faudra s'adapter aux codes particuliers qui régissent l'espace, leurs avis seront les bienvenues, apportant parfois une vision totalement différente des choses. Les discussions peuvent donc y être plus riches et plus passionnées, pour le meilleur et pour le pire.

Un forum peut finalement être un espace très élitiste, là aussi pour le meilleur et pour le pire. Quand on débarque sur Internet on a souvent l'impression de tout savoir sur des sujets précis. Des sentiments aussi anodins que "t'inquiète j'ai lu tous les Dragon Ball je peux répondre à n'importe quel quiz" peuvent entraîner de grosses désillusions ... il y a toujours un spécialiste qui sait plus de choses, et ils peuvent facilement se rassembler sur les forums. De la même façon, j'ai tendance à dire que les forums accueillent les "premiers de la classe". Ce n'est pas pour moi une façon de dénigrer les personnes utilisant les réseaux sociaux (teh, je me dénigrerais moi-même, ça va pas non ?), mais simplement de mettre en exergue cette volonté de tirer tout le monde vers le haut : le langage SMS est très mal vu sur les forums, il est compliqué de venir y donner un avis qui n'est pas étayé par des arguments solides, etc. Poster sur un forum c'est de l'investissement ! Et si certains espaces sont plus bordéliques que d'autres, ils sont tout de même fréquentés par des personnes qui connaissent bien Internet et les nouvelles technologies et peuvent tout autant s'avérer de précieux conseil qu'incroyablement arrogants. Et souvent à raison... Pour finir, le public des forums a également tendance à être plus vieux. Certains ont connu les mailing lists des débuts de l'Internet, et se reconnaissent difficilement dans les réseaux sociaux. Je suppose qu'on peut les appeler "des vieux cons", et peut être même qu'ils apprécieraient !

 

Les forums, quel intérêt pour le lecteur ?

Les forums ont pour objectif premier l'entraide, c'est donc à leurs utilisateurs qu'ils sont en premier lieu bénéfiques. Sur jeuxvideo.com, ils ont été ouverts il y a plus de 15 ans pour permettre à n'importe qui d'obtenir de l'aide sur n'importe quel jeu, simplement en posant la question à ceux qui savent. C'est d'ailleurs la réponse qui revient le plus souvent lorsqu'on demande à un forumeur comment il est arrivé sur jeuxvideo.com : "Bah je cherchais de l'aide / un code sur un jeu, et quand j'ai vu qu'il y avait du monde sur les forums je suis resté.".

Et ce principe d'entraide existe pour tout un tas de domaines. Vous constaterez, lorsque vous recherchez de l'aide sur Google, que ce sont souvent des forums qui vont vous sortir de la panade : les espaces consacrés au hardware répareront vos drivers, ceux consacrés à la médecine vous apprendront que vous avez un cancer, auto-école, papiers administratifs, aide juridique ... c'est l'outil le plus souple pour obtenir efficacement de l'aide, notamment grâce à l'archivage des discussions -et parce que Google permet une recherche bien pratique dans ces bases de données.

Les chats de discussion peuvent avoir cette fonction, mais vous devez tomber au bon moment pour être en relation avec quelqu'un de compétent. Des choses sont tentées par les entreprises pour développer des microchats qui mettent en relation un client avec un conseiller 24 heures sur 24, par exemple en proposant aux meilleurs clients de répondre bénévolement aux questions. TokyWoky propose des solutions clé en main pour le faire ; c'est par exemple le cas sur Les Numériques (regardez en bas à droite). il faut espérer qu'un bénévole sera disponible et compétent pour répondre efficacement - c'est comme un forum, me direz-vous ... mais un forum est public, et si on vous dit une énormité, quelqu'un d'autre pourra toujours rattraper l'erreur ! Et puisque les robots sont sur le point de dominer le monde, les bots qui répondent automatiquement aux questions se répandent jour après jour, mais ce ne sont pas des IA et ils sont limités à un certain nombre de réponses types.

Autre inconvénient du chat, vous devez faire la démarche de demander de l'aide. Pas d'archivage des discussions, et si les questions les plus fréquentes sont souvent recensées dans une F.A.Q, pour tout ce qui est plus spécifique il faudra se retrousser les manches. Le forum permet de retrouver un message publié il y a 6 ans qui concerne précisément votre souci, avec les contributions de plein de gens qui sont passés avec le temps pour enrichir le propos.

Outre l'entraide, les forums qui ont du succès permettent de voir naître des communautés. On revient finalement à l'origine étymologique du forum, ces espaces de la Rome antique où les citoyens se retrouvaient pour discuter de tout et de rien. Une structure sociale s'établit naturellement dans un phénomène fascinant à observer : des leaders d'opinion vont apparaître, parfois des conflits, des règles tacites sont mises en place, etc. Sur jeuxvideo.com cela implique rapidement l'arrivée d'un modérateur élu parmi la communauté, qui va justement permettre le respect des règles établies par tous, et un ton particulier va se dégager dans les discussions, très différents d'un espace à un autre.

Cette notion de groupe crée un attachement naturel : on ne vient pas sur un espace en raison de son design ou de son thème, mais bien des personnes que l'on va y retrouver. Socialement fédérateurs, les forums ont également une histoire, aidée par le fameux archivage des messages. Retourner en arrière pour lire les discussions cultes d'il y a plusieurs années est un jeu prisé !

Enfin, même si ça peut sembler être un jugement très personnel, les forums sont davantage propices aux messages recherchés et construits, argumentés. La mise en avant naturelle ne se faisant pas sur les personnes mais sur les propos, les messages seront globalement plus longs et nécessiteront plus de préparation.

Les sites doivent-ils avoir un forum ?

Du point de vue de l'hébergeur, la première chose à savoir c'est qu'un forum n'est pas un espace rentable. C'est plutôt la source de soucis : hébergement complexe, modération, veille technique indispensable pour le rendre attractif (ou simplement le conserver fonctionnel) ... Un forum qui fonctionne est une responsabilité lourde à assumer. Pour autant, ça ne vient pas sans effets bénéfiques, et si jeuxvideo.com conserve des forums pourtant régulièrement critiqués, ce n'est pas pour le simple plaisir de prendre des claques sur les fesses à coup de hashtag.

De manière pragmatique, un forum actif rapporte énormément de pages vues. Les consommateurs forcenés vont en effet générer bien plus d'affichages qu'un utilisateur qui viendrait sur une partie éditoriale, lirait quelques news puis repartirait aussitôt : là, ses multiples participations à tout un tas de sujets différents multiplient les pages vues générées. Ça n'a aucun effet économique direct puisque, sur jeuxvideo.com, 80% des utilisateurs de forums ont un adblock activé (et de toutes façons, les pubs affichées sur les forums sont des "bannières" ou des "carrés" qui ne valent plus un rond de nos jours). Mais ces pages vues permettent d'avoir des stats impressionnantes qui font leur petit effet quand les commerciaux les récitent aux clients venus acheter des espaces plus chers.

Toujours de manière pragmatique, les forums constituent une formidable base de données : plus ils sont actifs et anciens, plus cette base de données a de la valeur. Bien exploitée, ces infos font un carton sur Google : faites l'essai en tapant à peu près n'importe quelle recherche à base de "comment faire pour ..." ou autres "problème avec mon [machine quelconque]", les résultats seront majoritairement vers des forums qui, comme dit précédemment, contiendront les réponses à votre question. C'est donc un enjeu SEO capital - un vilain acronyme qui veut dire "faire venir des gens sur mon site grâce à Google". Et quelqu'un qui vient depuis Google, lui, a plus de chances de ne pas avoir adblock activé ... et peut être qu'on peut lui proposer de regarder une petite vidéo, tant qu'il est dans le coin ?

Plus intéressant à mes yeux (de non-commercial non-responsable SEO), avoir des forums actifs est une chance et une richesse. Quand vous êtes Gestionnaire de Communautés, ça veut dire que vous pouvez à peu près tout envisager en étant certain de ne pas avoir à forcer pour avoir du monde : créer une animation, faire un appel à témoins, lancer un sondage... Si un journaliste a besoin d'avis d'utilisateurs pour étoffer son édito du jour, il sait qu'il aura tout un tas de contributions pertinentes rien qu'en posant la question. Il ne faut pas utiliser cette capacité n'importe comment bien sûr, il faut parler aux bonnes personnes au bon moment et l'idée reste de mettre en valeur la richesse de ces communautés.

Enfin, vous trouverez difficilement public plus fidèle que des forumeurs qui se donnent rendez-vous dans un espace dédié. Ils reviendront quotidiennement sans problème et se réapproprieront l'endroit à leur image. Même s'ils bloquent ultra-majoritairement la publicité, ou même si, comme le dirait un "chargé du Produit" -une personne qui réfléchit à comment améliorer le site, en gros- de chez Webedia : "ce sont des sagouins qui détruisent les designs qu'on s'échine à leur faire avec des scripts faits en 3mn". C'est justement parce que cet espace est le leur, dans la limite du respect des règlements bien sûr, qu'ils ne viendront même pas pour vous, ou pour vous faire plaisir, mais uniquement parce qu'ils s'apprécient entre eux.

Il ne faut donc pas oublier que cette fidélité n'est pas acquise pour l'éternité : le public des forums vieillit, et le défi actuel consiste à y accueillir de nouveaux forumeurs allaités aux réseaux sociaux. Mais surtout, il faut traiter tout ce monde avec beaucoup de respect, justement parce qu'ils ne viennent pas là pour le site en lui-même : chaque modification, chaque bug ou chaque intervention trop franche dans leur fonctionnement peut entraîner une vague de mécontentement. Ainsi, un dirigeant qui récupère la gestion d'un tel espace sera tenté d'y placer de la publicité pour des articles édito du site par exemple, qui rapportent plus. "S'ils viennent chez nous ils peuvent nous aider" ; grave erreur ! À moins de trouver le type de contenu qui leur plaira, vous ne pourrez pas forcer ces forumeurs à aimer ce dont ils ne veulent pas. Tout l'enjeu est de produire des contenus susceptibles de les intéresser, puis de leur faire savoir que ce contenu existe, sans que ça ne soit perçu comme de la publicité ... pas facile !

 

En conclusion, oui je pense que les forums ont toujours un avenir. Ils existent depuis les fondations d'Internet et conservent une particularité propre qui les rend indispensables, à la fois pour l'entraide qu'ils permettent de fournir mais aussi pour les communautés qu'ils créent. Et s'ils sont souvent vu comme des poids pour les sites web modernes qui préfèrent avoir un gros score à leur nombre de followers, y investir des sous peut être très profitable.

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