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La fermeture des forums IMDb, ou quand la contradiction gêne

Publié le par naglaglasson / Gnap_Gnap

Dans mon précédent article je vous expliquais pourquoi les forums c'est cool. Hélas tout le monde ne partage pas cet avis et IMDb, plus gros site cinéma / TV / people du monde, détenu par Amazon, a depuis quelques jours fermé ses "message boards". Cette fermeture est un symbole fort de l'évolution d'Internet : les forums et les commentaires sont critiqués, raillés ... alors qu'ils n'ont jamais été aussi populaires. Et si la fermeture des forums de IMDb n'a pas nécessairement été décidée par le contenu des forums, il est de plus en plus difficile de trouver au sein de la presse les défenseurs de cette partie d'Internet ...
 

 

Forums IMDb, présentation

 

Je ne vais pas faire semblant : je n'avais jamais mis les pieds sur les forums IMDb avant l'annonce de la fermeture. Mais après quelques visites chez Wikipedia et des pages conservées dans le cache de Google, j'ai découvert un système qui rappelle très fortement celui de jeuxvideo.com ... et pour ceux qui s'en souviennent, toutlecine.com.

Les forums de IMDb ont ouvert au début des années 2000, avec l'idée de faire un forum pour chaque film, série ou personnalité du cinéma, soit plus de trois millions d'espaces. En sus, il existait 140 forums plus généralistes et un service de messagerie privée. Avec le temps, l'activité eût tendance à se concentrer sur deux forums : "Soapbox", un blabla généraliste incitant au débat sur tous les sujets, et "Politics" que je ne vous ferai pas l'affront de traduire. À noter que le compte IMDb pouvait y être authentifié avec une carte bancaire, un numéro de téléphone ou un compte Amazon ayant une activité récente, une fonctionnalité qui n'existe pas sur jeuxvideo.com et qui devait permettre au staff de mieux repérer ceux qui sont sérieux des autres.

Leur système de modération était géré uniquement par leur équipe interne, aucun bénévole n'a jamais été ajouté en renfort. Tout dépendait de deux fonctionnalités : les signalements, traités donc par le staff avec un délai "qui dépend du retard accumulé et des soucis techniques", et une fonction Ignorer que les utilisateurs pouvaient gérer à leur convenance histoire de ne plus avoir les pénibles sous les yeux. Le système était volontairement opaque, difficile donc d'en savoir plus ... mais aucun bénévole pour gérer une telle masse de travail semble assez dingue, d'autant que la modération au quotidien des espaces devient impossible et que tout ne repose plus que sur des traitements tardifs de signalements. Un choix rare pour des espaces de cette taille et revendiquant plusieurs dizaines de milliers de messages postés par jour.

IMDb semblait compter sur la prévention et la pédagogie en priorité, avec deux pages plutôt bien faites permettant de savoir efficacement comment publier en respectant le "Message Boards Etiquette" ou comment réagir face aux "trolls". D'expérience, ces pages sont très peu lues et n'ont que peu d'intérêt, mais l'intention était louable.

 

Fermer un espace ne fait pas disparaître les utilisateurs

 

Les forums ont donc fermé, et si vous souhaitez comprendre pourquoi je vous invite à lire mon précédent article qui fait le tour de la question.

La réaction des habitués n'a pas été positive, bien entendu. Une pétition a réuni plus de 11 000 signatures pour demander le maintien de l'espace de discussion, un nombre loin des millions qu'affichent les compteurs des réseaux sociaux IMDb... mais un nombre qui comprend des core-users, ces utilisateurs souvent historiques qui passent énormément de temps sur le site et qui sont infiniment plus attachés à celui-ci que des abonnés fantômes de réseaux sociaux qui mettent un like par semaine. Et surtout, il s'agit ici de communautés qui se retrouvent orphelines, des personnes qui se connaissent et qui doivent se débrouiller tant bien que mal pour trouver un nouvel espace où discuter. Car si fermer un espace c'est facile, ça ne fait pas disparaître les utilisateurs pour autant.

Les messages privés sont un bon exemple des dégâts provoqués par la décision : effacés dans le mouvement, tant pis pour ceux qui avaient noué des contacts. Ils ont eu deux semaines pour s'échanger d'autres moyens de communication avant que tout ne saute. Imaginez faire la liste de toutes les personnes que vous avez rencontré sur le web en plusieurs années ...

La pétition n'ayant eu aucun effet, les forumeurs s'organisent ... tant bien que mal. Gérer une migration générale est très compliqué et définir un point de rendez-vous unique quasiment utopiste. Les membres sont nombreux, et il y a assez de monde pour que plusieurs espaces différents -mais affaiblis- voient le jour. IMDB v2.0 semble avoir le vent en poupe, d'autres projets ne sont pas loin comme IMDForums ou MovieChat. L'activité appelle l'activité et nulle doute que ne subsistera que celui qui parviendra à faire revenir quotidiennement les utilisateurs ... si l'un d'entre eux y parvient sur le long terme. Car sans la mise en avant naturelle que procure un site aussi puissant que IMDb, le recrutement de nouveaux membres semble compromis.

Mais le plus important ce n'est pas l'avenir pour ces forumeurs, mais bien la conservation de ce qui a fait la force de ces communautés : le fait de se retrouver, une structure dans laquelle ils sont à l'aise, un ton bien particulier qu'ils conserveront sans problème ... et un gros historique ! Un tracker officieux a été lancé et près de 4 téraoctets de messages ont été sauvegardés. Là où IMDb ne laisse plus que des pages vides, l'archivage de plusieurs années d'échanges est assuré et on peut imaginer qu'ils seront réintroduits tôt ou tard dans l'un des remplaçants mentionnés plus tôt. Encore une fois, était-il à ce point judicieux de jeter dehors des utilisateurs pourtant prêts à s'organiser pour télécharger ensemble plusieurs centaines de gigaoctets de messages ?

 

Une fête médiatique en guise d'enterrement

 

La presse, d'un autre coté, semble se réjouir de la fermeture des forums IMDb. Le Monde parle d'un espace "tout en bas du caniveau numérique" (et assure que c'est "par la faute de trolls" (sic), ce qui n'est dit nulle part dans l'annonce de IMDb). Sur TechCrunch, c'est l'"une des pires sections de commentaires" qui ferme, rien que ça ... Et les deux sites insistent sur le fait que même Reddit a créé un thread (une liste de messages) pour dire à quel point ces forums étaient horribles. Un thread de 52 messages ... soit une goutte d'eau si on compare aux dizaines de milliers de messages qui étaient postés quotidiennement. Et parmi ces 52 messages, une bonne part réplique que mouais, c'est pas si différent de Reddit, finalement.

Mais qui sont ces fameux "trolls" qui rendaient la vie aussi insupportable sur les forums de IMDb ? Difficile de trouver des exemples, et c'est cet article de Gizmodo qui a fait le gros du job. S'intitulant "IMDb tue ses forums et rien de valeur n'est perdu", l'article se propose, pour ceux qui n'auraient pas eu le courage de plonger dans l'horreur de ces forums, de leur donner des exemples de ce qu'ils auraient raté. Le premier exemple : un utilisateur qui trouve Simba sexy dans le Roi Lion, notamment dans la scène de la chanson (mais si vous savez, ça roule dans l'herbe avec Nala, ça se lèche le poil etc). Sans doute faut-il y voir une répugnante remarque zoophile. Autre exemple : un forumeur qui se demande si c'est acceptable d'aimer La Liste de Schindler. Il trouve le film bien réalisé, inoubliable, convaincant, intense. Le commentaire de Gizmodo se moque de cette personne qui semble avoir peur de devenir sympathisant nazi en aimant ce film ... Qui fait des raccourcis ici ? Un autre se demande comment est gérée la grossesse dans l'univers des films Matrix, l'article se moque des "discussions philosophiques nazes" que la série de films a engendré. Un autre encore explique que The Dark Knight c'est tout nul et qu'il aurait fait un meilleur film. Brûlez cette personne qui a un avis !

Heureusement, d'autres sites prennent une position différente : Paste rappelle qu'il est important de reconnaître qu'aucun autre forum n'a été en mesure de proposer un tel nombre de discussions passionnées sur n'importe quelle série télé. Plus touchant, l'article de Amelia Tait sur newstatesman, qui lisait régulièrement ces forums et regrette la perte de vitesse des forums : "les opinions de 250 millions de personnes sur les films, la télé, ou les jeux sont une incroyable archive culturelle et historique".

 

Cachez ces commentaires qui me déplaisent !

 

Mais IMDb finira-t-il par aller plus loin ? Selon The Hollywood Reporter, le système de critiques de films par les utilisateurs serait remis en question, en raison du nombre disproportionné de votes négatifs que reçoivent les films qui mettent en avant ou sont créés par des personnes issues de minorités. Face à la haine bien entendu inacceptable, la solution est-elle de couper Internet ? La parole doit-elle être réservée à Ceux qui savent ?

Et plus globalement, la parole sur Internet doit-elle disparaître au profit des articles ? Les médias qui ferment leurs espaces de commentaires se multiplient : un groupe de médias belge, Marianne qui ferme les commentaires de plusieurs articles suite à leur perte de contrôle face à des réactions antisémites. D'autres articles analysent ce que contiennent ces sections, et c'est pas franchement positif, comme The Atlantic ou The New Yorker.

Dans ces périodes de défiance du public vis-à-vis des médias, je m'alarme de cette façon qu'a une partie de la presse de prendre en grippe les espaces de discussions et les "trolls" (qui deviennent souvent "ceux qui ne sont pas d'accord avec nous") et qui souhaiteraient verrouiller la possibilité de commenter. Est-on en train de reconnaître que, finalement, laisser n'importe qui s'exprimer est une mauvaise idée ? Bien sûr, Internet désinhibe les réactions, et oui il y a énormément de travail devant nous pour en faire un lieu d'échange sain. Mais peut être que, parfois, un peu plus d'acceptation devant les critiques serait nécessaire. Peut être qu'un peu moins de condescendance vis-à-vis de ces "trolls" leur permettrait de mieux comprendre les messages sous-jacents. Peut-être, finalement, s'apercevront-ils que ces personnes qui commentent sont leur public, et qu'ils doivent accepter que ce public soit, parfois, en désaccord avec leurs thèmes. Tant que ça reste légal, laissez les messages ! Et ne vous contentez pas de ça : parlez avec vos membres, échangez pour comprendre leurs problématiques et acceptez que vous n'êtes pas meilleurs qu'eux !

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Le forum, bien plus qu'un réseau social has-been

Publié le par naglaglasson / Gnap_Gnap

Le 20 février prochain, IMDb, le site bien connu pour sa gigantesque base de données cinématographique, fermera définitivement ses forums de discussion. Ce service n'apporterait, selon eux, aucune expérience positive ou utile aux utilisateurs du site. Les forums seront complètement effacés, les utilisateurs sont appelés à sauvegarder par eux-même les messages qu'ils souhaiteraient conserver. Le message est clair : IMDb ne veut plus avoir à gérer tout ça et renvoie tout le monde sur ses divers réseaux sociaux. Je consacrerai un article sur la fermeture des forums IMDb un peu plus tard !

En août 2016, c'est Bioware qui fermait le BSN, bien connu de ceux qui s'y sont retrouvés notamment pour échanger des théories sur la saga Mass Effect, par exemple. Là encore les utilisateurs sont invités à se rendre sur Facebook, Twitter, Youtube, Instagram ... voire même en convention In Real Life.

Les forums paraissent archaïques, difficiles à maintenir et à modérer. Mais est-ce qu'un réseau social peut remplacer un forum ? Est-ce qu'il est encore utile, en 2017, d'avoir un forum actif sur un site ? Les réseaux sociaux vont-ils les remplacer ?

Dans un souci de transparence, je rappelle à ceux qui l'ignoreraient que mon travail consiste en grande partie à gérer et animer les forums de jeuxvideo.com, mon avis peut donc paraître biaisé. Mais ce n'est pas parce que j'y travaille que j'aime les forums, c'est parce que j'aime les forums que j'ai choisi d'en faire mon métier. Faites-en ce que vous voulez !

Un forum est-il un réseau social ?

En plus d'être difficiles à gérer, les forums donnent l'impression d'être has been. Les réseaux sociaux sont passés par là et, grâce à des fonctions valorisantes qui mettent en avant la popularité d'un utilisateur (fonction j'aime, nombre d'abonnés, etc) souvent au détriment du texte, ils ont conquis le grand public. À ce titre ils sont bien aidés par leur simplicité d'utilisation. Le forum est un outil complexe, avec ses codes particuliers, et on ne peut pas y débarquer sans avoir pris connaissance des règles élémentaires. À l'inverse vous pouvez faire à peu près n'importe quoi sur votre page Facebook, ça ne gênera personne d'autre que vos amis. Alors les forums sont-ils des réseaux sociaux ?

Pour parler définition, un forum est un "média social" ; Facebook ou Twitter font partie d'un sous-ensemble des médias sociaux : les réseaux sociaux numériques de contact, tout comme World of Warcraft. Vous avez également des réseaux sociaux numériques de contenu, comme Youtube. Je vous renvoie à Wikipedia pour apprendre à mettre plein de sites dans des petites cases.

C'est pas vraiment mon délire, d'autant que j'ai le sentiment que n'importe quel site qui soit un peu contributif peut entrer dans la catégorie des médias sociaux. Mon point de vue est plus terre-à-terre : un réseau social type Facebook, Twitter ou même Youtube se concentre sur une personne. C'est votre compte, vos intérêts, vos abonnements, vos amis. C'est votre propre cercle qui sera plus ou moins grand en fonction des personnes qui gravitent autour. Pour caricaturer, je dirais que c'est une simulation de fan-clubs. Bien sûr les regroupements peuvent se faire autour d'un thème plutôt que d'une personne, mais vos contributions dans ces thèmes resteront très personnelles et partagées sur votre propre espace. Et n'importe qui ne peut pas diriger les discussions autour de ce thème : il y a toujours un groupe de personnes qui vont administrer les pages gérant ces thèmes. Finalement, c'est l'évolution directe des blogs.

Un forum, lui, est un espace vide prêt à accueillir n'importe qui. Il se concentre sur un thème plus ou moins précis : il y a des forums pour les discussions sur un type de téléphone bien précis, alors que d'autres sont des "blabla" très généralistes. Les discussions ne se font donc pas autour des personnes mais autour des sujets qui sont amenés. Le ton des discussions sera décidé de manière décentralisée par tous les participants. Ainsi, il n'est pas rare de voir un topic complètement dériver de son sujet de base pour parler de quelque chose de très différent (ça a même un nom : le Threadjacking). C'est aussi la raison pour laquelle chaque forum peut avoir une ambiance très personnalisée ... et pourquoi il est obligatoire d'en comprendre les codes avant de s'y rendre (ou d'en parler ... sous peine de raconter n'importe quoi). Je serais moi même bien incapable de parler d'un tas de forums sur jeuxvideo.com, malgré mes longues années au service du site.

Cela signifie également qu'un forum est susceptible de générer des tensions rapidement : sur les réseaux sociaux vous choisissez avec qui vous souhaitez interagir, les gens qui vous suivent étant le plus souvent des personnes qui vous apprécient. Tout n'y est pas rose bien sûr, mais vous avez plus de chances de vous retrouver au sein d'un groupe qui s'entend plutôt bien. Sur les forums, les nouveaux et inconnus peuvent débarquer à tout moment ! Et s'il leur faudra s'adapter aux codes particuliers qui régissent l'espace, leurs avis seront les bienvenues, apportant parfois une vision totalement différente des choses. Les discussions peuvent donc y être plus riches et plus passionnées, pour le meilleur et pour le pire.

Un forum peut finalement être un espace très élitiste, là aussi pour le meilleur et pour le pire. Quand on débarque sur Internet on a souvent l'impression de tout savoir sur des sujets précis. Des sentiments aussi anodins que "t'inquiète j'ai lu tous les Dragon Ball je peux répondre à n'importe quel quiz" peuvent entraîner de grosses désillusions ... il y a toujours un spécialiste qui sait plus de choses, et ils peuvent facilement se rassembler sur les forums. De la même façon, j'ai tendance à dire que les forums accueillent les "premiers de la classe". Ce n'est pas pour moi une façon de dénigrer les personnes utilisant les réseaux sociaux (teh, je me dénigrerais moi-même, ça va pas non ?), mais simplement de mettre en exergue cette volonté de tirer tout le monde vers le haut : le langage SMS est très mal vu sur les forums, il est compliqué de venir y donner un avis qui n'est pas étayé par des arguments solides, etc. Poster sur un forum c'est de l'investissement ! Et si certains espaces sont plus bordéliques que d'autres, ils sont tout de même fréquentés par des personnes qui connaissent bien Internet et les nouvelles technologies et peuvent tout autant s'avérer de précieux conseil qu'incroyablement arrogants. Et souvent à raison... Pour finir, le public des forums a également tendance à être plus vieux. Certains ont connu les mailing lists des débuts de l'Internet, et se reconnaissent difficilement dans les réseaux sociaux. Je suppose qu'on peut les appeler "des vieux cons", et peut être même qu'ils apprécieraient !

 

Les forums, quel intérêt pour le lecteur ?

Les forums ont pour objectif premier l'entraide, c'est donc à leurs utilisateurs qu'ils sont en premier lieu bénéfiques. Sur jeuxvideo.com, ils ont été ouverts il y a plus de 15 ans pour permettre à n'importe qui d'obtenir de l'aide sur n'importe quel jeu, simplement en posant la question à ceux qui savent. C'est d'ailleurs la réponse qui revient le plus souvent lorsqu'on demande à un forumeur comment il est arrivé sur jeuxvideo.com : "Bah je cherchais de l'aide / un code sur un jeu, et quand j'ai vu qu'il y avait du monde sur les forums je suis resté.".

Et ce principe d'entraide existe pour tout un tas de domaines. Vous constaterez, lorsque vous recherchez de l'aide sur Google, que ce sont souvent des forums qui vont vous sortir de la panade : les espaces consacrés au hardware répareront vos drivers, ceux consacrés à la médecine vous apprendront que vous avez un cancer, auto-école, papiers administratifs, aide juridique ... c'est l'outil le plus souple pour obtenir efficacement de l'aide, notamment grâce à l'archivage des discussions -et parce que Google permet une recherche bien pratique dans ces bases de données.

Les chats de discussion peuvent avoir cette fonction, mais vous devez tomber au bon moment pour être en relation avec quelqu'un de compétent. Des choses sont tentées par les entreprises pour développer des microchats qui mettent en relation un client avec un conseiller 24 heures sur 24, par exemple en proposant aux meilleurs clients de répondre bénévolement aux questions. TokyWoky propose des solutions clé en main pour le faire ; c'est par exemple le cas sur Les Numériques (regardez en bas à droite). il faut espérer qu'un bénévole sera disponible et compétent pour répondre efficacement - c'est comme un forum, me direz-vous ... mais un forum est public, et si on vous dit une énormité, quelqu'un d'autre pourra toujours rattraper l'erreur ! Et puisque les robots sont sur le point de dominer le monde, les bots qui répondent automatiquement aux questions se répandent jour après jour, mais ce ne sont pas des IA et ils sont limités à un certain nombre de réponses types.

Autre inconvénient du chat, vous devez faire la démarche de demander de l'aide. Pas d'archivage des discussions, et si les questions les plus fréquentes sont souvent recensées dans une F.A.Q, pour tout ce qui est plus spécifique il faudra se retrousser les manches. Le forum permet de retrouver un message publié il y a 6 ans qui concerne précisément votre souci, avec les contributions de plein de gens qui sont passés avec le temps pour enrichir le propos.

Outre l'entraide, les forums qui ont du succès permettent de voir naître des communautés. On revient finalement à l'origine étymologique du forum, ces espaces de la Rome antique où les citoyens se retrouvaient pour discuter de tout et de rien. Une structure sociale s'établit naturellement dans un phénomène fascinant à observer : des leaders d'opinion vont apparaître, parfois des conflits, des règles tacites sont mises en place, etc. Sur jeuxvideo.com cela implique rapidement l'arrivée d'un modérateur élu parmi la communauté, qui va justement permettre le respect des règles établies par tous, et un ton particulier va se dégager dans les discussions, très différents d'un espace à un autre.

Cette notion de groupe crée un attachement naturel : on ne vient pas sur un espace en raison de son design ou de son thème, mais bien des personnes que l'on va y retrouver. Socialement fédérateurs, les forums ont également une histoire, aidée par le fameux archivage des messages. Retourner en arrière pour lire les discussions cultes d'il y a plusieurs années est un jeu prisé !

Enfin, même si ça peut sembler être un jugement très personnel, les forums sont davantage propices aux messages recherchés et construits, argumentés. La mise en avant naturelle ne se faisant pas sur les personnes mais sur les propos, les messages seront globalement plus longs et nécessiteront plus de préparation.

Les sites doivent-ils avoir un forum ?

Du point de vue de l'hébergeur, la première chose à savoir c'est qu'un forum n'est pas un espace rentable. C'est plutôt la source de soucis : hébergement complexe, modération, veille technique indispensable pour le rendre attractif (ou simplement le conserver fonctionnel) ... Un forum qui fonctionne est une responsabilité lourde à assumer. Pour autant, ça ne vient pas sans effets bénéfiques, et si jeuxvideo.com conserve des forums pourtant régulièrement critiqués, ce n'est pas pour le simple plaisir de prendre des claques sur les fesses à coup de hashtag.

De manière pragmatique, un forum actif rapporte énormément de pages vues. Les consommateurs forcenés vont en effet générer bien plus d'affichages qu'un utilisateur qui viendrait sur une partie éditoriale, lirait quelques news puis repartirait aussitôt : là, ses multiples participations à tout un tas de sujets différents multiplient les pages vues générées. Ça n'a aucun effet économique direct puisque, sur jeuxvideo.com, 80% des utilisateurs de forums ont un adblock activé (et de toutes façons, les pubs affichées sur les forums sont des "bannières" ou des "carrés" qui ne valent plus un rond de nos jours). Mais ces pages vues permettent d'avoir des stats impressionnantes qui font leur petit effet quand les commerciaux les récitent aux clients venus acheter des espaces plus chers.

Toujours de manière pragmatique, les forums constituent une formidable base de données : plus ils sont actifs et anciens, plus cette base de données a de la valeur. Bien exploitée, ces infos font un carton sur Google : faites l'essai en tapant à peu près n'importe quelle recherche à base de "comment faire pour ..." ou autres "problème avec mon [machine quelconque]", les résultats seront majoritairement vers des forums qui, comme dit précédemment, contiendront les réponses à votre question. C'est donc un enjeu SEO capital - un vilain acronyme qui veut dire "faire venir des gens sur mon site grâce à Google". Et quelqu'un qui vient depuis Google, lui, a plus de chances de ne pas avoir adblock activé ... et peut être qu'on peut lui proposer de regarder une petite vidéo, tant qu'il est dans le coin ?

Plus intéressant à mes yeux (de non-commercial non-responsable SEO), avoir des forums actifs est une chance et une richesse. Quand vous êtes Gestionnaire de Communautés, ça veut dire que vous pouvez à peu près tout envisager en étant certain de ne pas avoir à forcer pour avoir du monde : créer une animation, faire un appel à témoins, lancer un sondage... Si un journaliste a besoin d'avis d'utilisateurs pour étoffer son édito du jour, il sait qu'il aura tout un tas de contributions pertinentes rien qu'en posant la question. Il ne faut pas utiliser cette capacité n'importe comment bien sûr, il faut parler aux bonnes personnes au bon moment et l'idée reste de mettre en valeur la richesse de ces communautés.

Enfin, vous trouverez difficilement public plus fidèle que des forumeurs qui se donnent rendez-vous dans un espace dédié. Ils reviendront quotidiennement sans problème et se réapproprieront l'endroit à leur image. Même s'ils bloquent ultra-majoritairement la publicité, ou même si, comme le dirait un "chargé du Produit" -une personne qui réfléchit à comment améliorer le site, en gros- de chez Webedia : "ce sont des sagouins qui détruisent les designs qu'on s'échine à leur faire avec des scripts faits en 3mn". C'est justement parce que cet espace est le leur, dans la limite du respect des règlements bien sûr, qu'ils ne viendront même pas pour vous, ou pour vous faire plaisir, mais uniquement parce qu'ils s'apprécient entre eux.

Il ne faut donc pas oublier que cette fidélité n'est pas acquise pour l'éternité : le public des forums vieillit, et le défi actuel consiste à y accueillir de nouveaux forumeurs allaités aux réseaux sociaux. Mais surtout, il faut traiter tout ce monde avec beaucoup de respect, justement parce qu'ils ne viennent pas là pour le site en lui-même : chaque modification, chaque bug ou chaque intervention trop franche dans leur fonctionnement peut entraîner une vague de mécontentement. Ainsi, un dirigeant qui récupère la gestion d'un tel espace sera tenté d'y placer de la publicité pour des articles édito du site par exemple, qui rapportent plus. "S'ils viennent chez nous ils peuvent nous aider" ; grave erreur ! À moins de trouver le type de contenu qui leur plaira, vous ne pourrez pas forcer ces forumeurs à aimer ce dont ils ne veulent pas. Tout l'enjeu est de produire des contenus susceptibles de les intéresser, puis de leur faire savoir que ce contenu existe, sans que ça ne soit perçu comme de la publicité ... pas facile !

 

En conclusion, oui je pense que les forums ont toujours un avenir. Ils existent depuis les fondations d'Internet et conservent une particularité propre qui les rend indispensables, à la fois pour l'entraide qu'ils permettent de fournir mais aussi pour les communautés qu'ils créent. Et s'ils sont souvent vu comme des poids pour les sites web modernes qui préfèrent avoir un gros score à leur nombre de followers, y investir des sous peut être très profitable.

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"Comment vous faites pour supporter ça tous les jours ?"

Publié le

Modérer des forums aussi actifs et avec une réputation aussi sulfureuse que ceux de jeuxvideo.com fait peur. Par définition, le modérateur est la personne qui va rechercher le contenu qu'une personne saine d'esprit éviterait. Ainsi, quand des collègues d'autres services ou des visiteurs découvrent notre métier, ce sont souvent les mêmes remarques qui reviennent :

"Comment vous faites pour supporter ça tous les jours ?"
"Et c'est quoi le pire que vous ayez à traiter ?"
"Ouah ... des images comme ça, vous en avez tous les jours ?"
"C'est ... c'est pas trop dur ?"

Plusieurs articles en anglais (ici ou ici, par exemple) racontent que deux salariés de chez Microsoft, qui travaillaient dans la safety team, ont porté plainte contre leur employeur. Leur travail consistait à visionner et transmettre aux autorités des photos et vidéos illégales (pédopornographie, images choquantes notamment sur des enfants ou encore zoophilie). Après plusieurs années de visionnage, ils ont développé un certain nombre de séquelles psychologiques (état de stress post traumatique). Par exemple, l'un d'eux étant particulièrement touché par les images horribles représentant des mineurs, finit par avoir du mal à regarder son propre fils. Il explique avoir une sorte de vidéo qui tourne constamment dans sa tête, avoir du mal à dormir...

Depuis 2009 je modère ce type d'images, et j'ai travaillé avec un certain nombre de collègues qui ont eu à faire la même chose. Sur jeuxvideo.com nous traitons les choses différemment, et bien que le site soit très actif le nombre de contenus ne justifie pas que des personnes soient à plein temps chargées de visionner des images horribles. Pour autant, et bien que ce métier soit passionnant à bien des égards, il est aussi violent. Et pas toujours de la façon qu'on le croit.

 

Violence graphique

C'est la première chose qui vient à l'esprit quand on imagine ce qu'un modérateur peut trouver de pire. Je serai bien incapable de faire une liste de tout ce qu'on peut voir passer, je vous laisse à votre imagination débordante (et dites-vous qu'il existe pire que ça encore). Pour donner un exemple léger, j'aime dire qu'avec le nombre de porno Dragon Ball que j'ai pu voir passer, je pense avoir eu droit à tous les couples possibles pour cette pourtant prolifique série (en incluant les mineurs ou les aliens, soyons fous).

Car même si ces contenus ne représentent que 0.1% (pourcentage pris au pif) de ce qui est posté sur les forums, le total représente plusieurs centaines de milliers de messages postés quotidiennement, avec donc chaque jour de nouveaux contenus à analyser, traiter et potentiellement transmettre aux autorités pour les cas les plus graves.

Est-ce qu'on s'y habitue ? Oui et non. Une certaine forme d'accoutumance s'installe, de fait, notamment vis-à-vis des visuels les plus connus. Pour une image violente qui nous dégoûte au premier visionnage, au bout de quelques mois à se la taper tous les jours elle devient comme une vielle amie que l'on est presque content de retrouver (... presque). "Ah ! Ça faisait longtemps que j'avais pas vu le poulpe !"

Des techniques d'évitement se mettent en place instinctivement : on reconnait facilement les liens suspects, on prend l'habitude de couper le son des écouteurs avant de les ouvrir (gare aux screamers !) et on place instinctivement les doigts sur ctrl+w, pour vite fermer l'onglet en cas de mauvaise rencontre. Enfin, quelques extensions comme Noscript permettent de contourner les pages qui se bloquent et autres scripts envahissants.

Pour autant, même avec bientôt 8 ans de modération, il m'arrive encore d'avoir un haut-le-cœur devant certains types de contenus. La plupart du temps je lèverai à peine un sourcil devant des contenus pourtant horribles, mais d'autres ont toujours du mal à passer. Et c'est également le cas pour les collègues (en tout cas ceux avec qui j'en ai parlé), mais étrangement ce ne sont pas nécessairement les mêmes types d'horreurs qui sont cités. Comme les Pokémon, l'humain à ses faiblesses !

Si nous le vivons dans l'ensemble aussi bien, c'est aussi parce que nous avons une chance par rapport aux modérateurs de chez Microsoft que je citais plus haut : notre tâche ne consiste pas uniquement à traiter des images répugnantes. Nous avons également à regarder des messages uniquement textuels, ou à effectuer d'autres tâches sur les réseaux sociaux ou les espaces contributifs du site (une bonne partie de mon temps est consacrée à Twitter, par exemple). Les rôles sont répartis de façon à éviter la surdose, et si quelqu'un n'en peut plus il peut toujours compter sur un collègue pour le suppléer.

Mais comme je le disais en intro, les images ne sont pas nécessairement ce qu'il y a de plus violent à traiter.

 

Violence psychologique

Une image, ça s'efface vite de l'écran. Une idée peut être beaucoup plus insidieuse. Il est loin l'Internet gentil et guilleret des années 90, avec ses gif animés moches et ses conversations soit très infantiles, soit très sérieuses. Le web est désormais un miroir de la société et les propos les plus violents se banalisent. Et nous sommes en première ligne.

Indirectement d'une part, lorsque nous avons à lire une pluie de propos haineux. Je vous laisse imaginer l'état d'esprit dans lequel on peut se trouver après plusieurs heures passées à traiter des messages signalés pour le motif "Discriminations / incitation à la haine". Toutes les catégories de population y passent, avec parfois un niveau de détail qui oblige à bien connaître des situations complexes (géopolitiques, médicales ...).

Pour donner un exemple concret, modérer pendant une vague d'attentat est particulièrement éprouvant. La télé allumée pour suivre l'actualité, parfois en étant sans nouvelles d'un proche qui habite dans le coin où ça se passe, il est pourtant primordial d'être sur le pont pour éviter tout débordement. La tension est exacerbée par l'actualité, les propos partent dans tous les sens, les messages défilent rapidement, et il faut garder la tête froide. À ce sujet, je vous invite à lire cet article, publié à la suite les attentats de Paris de novembre 2015, où une modératrice travaillant pour des sites de presse a vécu quelque chose de similaire.

Dans un tout autre registre, la difficulté peut parfois venir de choses qui paraissent anodines. J'ai souvenir de ce collègue qui s'est trouvé très marqué à cause d'une théorie du complot qu'il a lu et dont il a modéré les échanges. Et quand je dis qu'il s'en est trouvé accablé et démoralisé, ça n'est pas une figure de style. 

Et pour rester dans le même ordre d'idée, la grande détresse de certains utilisateurs qui vont jusqu'à annoncer vouloir mettre fin à leurs jours peut être poignante. Rien ne nous forme à gérer ce genre de situation, et heureusement des associations bien plus compétentes dans ce domaine nous aident.

La violence peut également être directe, car comme toute figure d'autorité nous sommes régulièrement la cible de messages décrivant avec précision toute la haine que l'on peut susciter. Railleries, insultes, menaces diverses, ces gentillesses peuvent aller jusqu'au harcèlement, coups de téléphone à la famille ... 

Et plus globalement, sur un site comme jeuxvideo.com vous êtes en première ligne. Il faut vite mettre son égo de coté pour s'en sortir : la moindre de vos actions sera décryptée par les utilisateurs (voir par plein d'autres personnes attirées par un hashtag) et tous auront la certitude que vous faites mal votre travail, et qu'ils feraient bien mieux à votre place, malgré leur vision étriquée du problème. Et ça fait partie du travail de leur répondre avec diplomatie !

En résumé, si bien entendu les images violentes ne sont pas une partie de plaisir, il y a un pendant psychologique auquel on ne pense pas nécessairement mais qui est beaucoup plus difficile à gérer dans ce travail. Est-ce qu'on s'y habitue ? Pas vraiment, mais il y a là aussi des solutions pour éviter les problèmes : ne jamais poster sur un coup de colère, souffler régulièrement si il faut, etc. Et bien sûr les collègues sont toujours là pour le soutien.

 

Ce ne sont que des pixels

Sur un blog ça n'est pas évident à discerner, mais si vous avez l'occasion de discuter de ces sujets avec moi "en vrai" vous vous apercevrez que je parle de tout ça sans réellement me choquer, d'un air presque détaché. Bien entendu, le fait que je sois un connard insensible aide pas mal, mais la raison principale est aussi la règle numéro 1 quand on a à gérer ce genre de choses : il faut prendre du recul.

Je décris ici ma façon de gérer les choses, les collègues font peut être ça de manière très différente. Mais selon moi la prise de recul permet de vivre ça sereinement. Vous connaissez le couplet : c'est de l'Internet, c'est rien de réel, faut pas le prendre personnellement, etc. Tout ça est vrai mais il faut aller plus loin. Ce qui est important c'est de se souvenir de qui on est, de ce à quoi on croit et de pourquoi on le fait. Il faut devenir un robot : ces pixels ne sont que des pixels, nous ne pouvons rien faire pour changer le monde, notre boulot consiste simplement à rendre les forums propres. Ce propos est haineux, je l'efface. Cette image est immonde, je signale aux autorités et j'espère très fort qu'ils remonteront jusqu'à l'auteur.

Cette attitude détachée permet justement de garder la tête froide en toute circonstance et d'administrer la bonne sanction en toute circonstance ; c'est en s'agaçant inutilement que l'on commet des gaffes, en se montrant excessivement sévère par exemple.

Ça n'est pas tous les jours facile, bien sûr. Quand la vie personnelle n'est pas rose, cela se ressent dans la modération, on peut se montrer plus sévère qu'on ne le serait habituellement (nous sommes humains !). Il est donc important de bien couper régulièrement : prendre sa pause de midi pour faire complètement autre chose (genre écrire un blog tiens), s'aérer l'esprit. Par exemple, après une journée compliquée j'ai besoin de ne penser à rien, de vider mon esprit et d'y mettre de la guimauve. Et dans ce cas un épisode de My Little Pony fait parfaitement l'affaire. Je précise que je n'ai jamais dit que j'étais sain d'esprit.

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Pour conclure cet article, je tiens à rappeler que j'aime mon travail. Et surtout, je ne veux pas qu'on me plaigne ! Je ne donne pas une image reluisante de mon quotidien, mais comme dans tout métier il y a du positif à coté du négatif et j'aurai largement l'occasion de parler des bons cotés.

Et pour conclure cette conclusion, je tiens également à rappeler que je suis loin d'être le seul à prendre tout ça dans la tronche, le bon comme le mauvais. Alors clin d'œil appuyé aux collègues et aux modérateurs bénévoles ! C'est aussi parce qu'on est une équipe soudée que tout ça ne nous fait pas peur. Et on ne les remercie jamais assez, j'en sais quelque chose.

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